Société des Missions Africaines (SMA)

Internationale

Le Père Jean-Charles Ramin

ramin

Société des Missions Africaines – Province de Lyon
Père Jean-Charles RAMIN (1924 2015)

-Né le 30 mars 1924 à Lyon (Rhône, diocèse de Lyon)

-Membre de la SMA le 27/10/1947

-Ordonné prêtre le 06/07/1950

 

 

 

 

1951-.1954   Ouidah (Cotonou), professeur

1954-1957    Cotonou, professeur au collège Aupiais

1957-1967    Ouidah (Cotonou), professeur

1967-1972    Djimé (Abomey); professeur

1972-2003    Boukombé (Natitingou) curé

-2004-2006    Natitingou, centre Saint Paul

2007-2015    Montferrier

– Décédé à Montferrier le 10 septembre 2015 à 1âge de 91 ans



Jean-Charles Ramin, un confrère le définit ainsi : « Un sage, non pas sagesse de l’intelligence abstraite, mais sagesse de l’expérience, sagesse de la vie quotidienne. Pour vous donner un conseil, il ne partira pas d’une idée abstraite, mais d’une réalité humaine, de l’homme lui-même. Je crois qu’il fut très écouté des grands comme des petits, à cause de ce sens de l’homme. Il me disait un jour : Je suis aussi à l’aise dans une case que dans un château, aussi à l’aise dans la roulotte d’un bohémien que dans un salon parisien. Un poète, homme de cœur, aussi à l’aise avec un vieillard qu’avec un enfant, aussi à l’aise avec une femme qu’avec un homme, ce qui n’est pas donné à tout le monde. Mais surtout un mystique, aussi à l’aise avec Dieu qu’avec les terriens, aussi proche de Dieu que des hommes. Est-ce pour cela que ses confrères de promotion l’avait surnommé le divin Ramin ? »C’est une personnalité bien difficile à cerner: amoureux de l’Église de son temps un prêtre intégriste, il ne craint pas de dire ses quatre vérités), amoureux de l’Afrique et des Africains (pendant ses huit années à Montferrier, on peut dire qu’il a continué de vivre en Afrique), très fidèle dans ses amitiés (il dit qu’il a au moins 300 lettres du cardinal Gantin), mais franc dans son parler, original dans sa manière de vivre, insensible aux critiques, ayant bien des difficultés à tenir des comptes et à faire un budget. ..

Il est à Lyon, à Saint-Pierre de Vaise en 1924. Fils unique, sa maman étant décédée à sa naissance, il a à peine quatre ans lorsque son papa est emporté par une méningite foudroyante ; il est alors élevé par l’une de ses tantes. Après deux années à l’école cléricale de l’Annonciation, à Vaise, il entre au lycée Ampère, à Lyon où il fait toutes ses études secondaires. Il a les deux parties du baccalauréat et, après une année en fac, il obtient un certificat d’histoire moderne et contemporaine. C’est alors qu’il frappe à la porte des Missions Africaines en 1945. Il abandonne ses études en fac, va à Chanly pour deux ans, puis à Lyon, au 150. Il est ordonné prêtre à la fin de sa troisième année de théologie en 1950, et l’année suivante il reçoit sa nomination pour l’Afrique : « Vous êtes mis à la disposition de Mgr Parisot, vicaire apostolique de Ouidah » (21 juin 1951) Voici ce que note le supérieur du séminaire à son sujet :  »Jeune prêtre avec lequel il fait bon vivre ; simple, de commerce agréable, un peu original, enjoué et vraiment bon. Bien doué, un peu superficiel, écrit bien le français, succès bien suffisants en philosophie et théologie. Manque un peu d’ordre et d’esprit pratique, distrait. Bien surnaturel, très attaché à la Société et aux missions. » (7 juillet 1951)

Dès lors, sa vie se divise en deux parties: professeur de 1951 à 1971, puis curé de paroisse de

1972 à 2003, à Boukombé. Il sera d’abord, pendant trois ans, professeur de français, latin, histoire, géographie, dessin et peinture en classe de 3ème au collège Aupiais, à Cotonou.

Ensuite, il est nommé au petit séminaire de Ouidah (il y reste 10 ans de 1957 à 1967), et il termine sa carrière de professeur au petit séminaire de Djimé de 1967 à 1971 : dans ces deux établissements, il enseigne en classe de 1ère français, latin, grec, histoire et géographie. Il écrira un jour avec fierté : Quant aux élèves, 13 sont devenus évêques et j’ai gardé avec chacun des relations chaleureuses. » S’il est resté très discret dans sa correspondance durant toute cette période de professorat, il convient cependant de signaler sa réaction après la session de l’Arbresle à laquelle il a participé au 4ème trimestre 1970.

Très fin dans son analyse, il commence par une première page plutôt positive: “le rythme des cours est assez large;[ . .} certains professeurs sont de bons analystes de la situation actuelle en Occident, qui veulent rester fidèles à l’enseignement de l’Eglise, [ . .} ambiance générale très bonne. » Mais la seconde page est plus polémique : » … D’autres professeurs, surtout ceux qui pensent de bonne foi qu’ils sont prophètes, chargés d’indiquer la piste de recherche qui triomphera dans l’avenir… [. .} Ce qui m’a énervé : l’orientation de certains cours: aigreur contre le pape et les évêques, affirmation telle que Vatican II est une bonne synthèse du passé, mais est actuellement dépassé, [ . .} l’apologétique est finie, [ . .}la morale de saint Paul était stoïcienne, […) messe où on ajoute ou retranche au texte officiel dans des proportions vraiment fortes. » Il termine sa lettre avec cette remarque : “Tout cela est-il vraiment utile à l’avancement de l’Eglise. [ . .} Si nous allions jusqu’au bout des fameuses pistes de recherche, nous pourrions nous diviser, mais heureusement, nous avons le bon sens de la sagesse gauloise, […}qui se prolonge et s’enrichit dans la sagesse africaine. “ (25/01/71)

Ses réactions sont diffusées à tous les évêques d’Afrique noire de langue française. Certains confrères inscrits se décommandent. Le père Lintanf de l’Arbresle lui écrit qu’il est  »profondément peiné » de cette mise en garde. Le père Ramin lui répond :  »Fraternellement, je vous dirais de prendre la communication que les évêques ont pu établir, non comme un coup mauvais, mais comme une invitation du Saint-Esprit à mieux faire. Nous avons tous besoin de retrouver le chemin d’une plus grande fidélité à ceux que le Seigneur a établis pour garder et conserver son Eglise. » (28/03/71)

Chaque année, régulièrement pendant la période de ses congés au Bénin, il passait plusieurs mois dans le nord, dans le pays somba. Aussi, en 1971, après 20 ans d’enseignement dans le pays, il demande un poste en paroisse : il écrit une très belle lettre à Mgr Adimou qui vient d’être nommé archevêque de Cotonou : « Cher Monseigneur et ami, je connais toute votre amitié et votre compréhension. Je voudrais, à l’occasion de mes 20 ans d’enseignement, émettre un vœu. Je vous en fais part d’abord personnellement : ce vœu, c’est de quitter l’enseignement pour le ministère proprement dit. [ ..} Je suis sûr que vous m’aiderez de toute votre bonté dans ce grand changement que j’envisage avec joie, mais non sans émotion. » (11/10/71) Son vœu est exaucé: il est donc nommé chez Mgr Redois, dans le diocèse de Natitingou, à la paroisse de Boukombé. Boukombé est une sous-préfecture du Nord Bénin : pays pauvre avec un exode rural important vers le Sud Bénin et le Nigeria, pays rural dont la culture par excellence est le mil, pays original par ses coutumes et ses habitations (les célèbres tatas en forme de château). ll prend la suite du père Ange Mahon qui vient d’y passer 30 années. Lui, il y restera 20 ans. Dans le diocèse, il fera partie du conseil presbytéral et du collège des Consulteurs.

 »L’adaptation a été très rapide. [ . .} Une seule chose me restait étrangère, le budget ; mais je sais faire additions et soustractions – plus nombreuses d’ailleurs que les additions – et finalement, je trouve cela amusant. Seulement, les choses seraient beaucoup moins plaisantes pour un père qui n’aurait pas comme moi le secours de sa famille. Nous en reparlerons. » (26/09/72) ll a un vicaire, Guy Boussion, un Fidei Donum, « un très brave homme qui aime bien les travaux manuels. Moi, c’est plutôt la gouache et les courses apostoliques en vélo. » (26/09/72) Poète : il écrit, le 13 janvier 1975, à propos de son vicaire suivant, l’abbé Matthieu Ouanibini:  »Nous disons le bréviaire et le chapelet ensemble sur les chemins. Il aime comme moi s ‘arrêter devant les beautés si délicates de la saison sèche : fleur qui tremble au souffle de 1 ‘harmattan, herbe sèche qui craque sous les pas, soleil du soir noyé dans la brume.. . « A propos de fleur, il faut signaler que, à partir de 1981, chacune de ses lettres était ornée de quelques fleurs séchées ou de feuilles glanées dans la brousse et retenues par un morceau de scotch. En mars 1979 : le volant de sa voiture lui tombe sur les genoux.  »Les freins étaient bons heureusement… Par la force des choses, je dois me réfugier dans la contemplation et la peinture. Je viens de faire 5 gouaches. Il m’est impossible en ejjèt de parcourir 50 à 100 kms en vélo par jour, même avec changement de vitesses. Les catéchismes en pâtissent. Dieu va suppléer. »

Dans ses lettres, il parle peu de son travail. Cependant, en 1979, il est heureux de faire part de l’ordination presbytérale d’un ancien catéchiste de la paroisse Gabriel NDéka, et des vœux définitifs de sœur Anne-Marie, originaire de Koussou Kouangou, sur la paroisse. « C’est beaucoup d’événements pour notre petit Boukombé. » (07/05/79) Bien sûr, on ne peut pas parler de Boukombé sans parler de Banaa, la Lumière, le bulletin paroissial qu’il a lancé en 1974 pour rejoindre tous les ressortissants de la paroisse et tous les amis qui l’aident dans son travail. Encore maintenant, ce sont toujours ses amis qui sont les artisans de cette publication qui continue. Des amis, il avait su en réunir pour lui venir en aide et lui permettre bien des réalisations. D’ailleurs, durant ses congés, il aimait retrouver sa famille et ses amis particulièrement ceux du Beaujolais avec qui il appréciait de profiter des produits du terroir.  »Le Beaujolais reste excellent, et je n’ai pas encore trouvé la maladie qui m’empêcherait d’en boire 1″

Bien plus tard, dans sa petite allocution d’accueil pour son nouveau vicaire, l’abbé Eustache, rapportée dans une autre lettre en 2001, il raconte comment il initie son nouveau vicaire, l’abbé Eustache ; nous avons ainsi un aperçu de sa méthode de travail : « Le cadre, par excellence, ce sont les retraites du mois dans chaque communauté chrétienne ; elles ont lieu tour à tour dans chaque maison: on commence par le chapelet, puis vient l’Evangile et son commentaire. Ensuite les confessions, la messe, le repas offert par celui qui nous reçoit, enfin tout se termine par quelques danses. Au cours de ces retraites, on fait des baptêmes, les mariages, les bénédictions de maisons. C’est un aspect de l’Eglise famille que tu auras à approfondir. Il y a aussi le chapelet des samedis soir tour à tour dans chaque maison, tant au camp qu’au zongo. Ainsi, on se retrouve en famille pour prier ensemble ; c’est très bénéfique. Tu auras pour ta part à maintenir, à animer les rencontres de prières et à développer ces rencontres qui ont toutes un point commun : elles sont domestiques et donnent un aspect à l’Eglise, celui-là même de la famille, ce qui est à mon avis essentiel. »

Le 26 novembre 2001, il reçoit la décoration pontificale « Pro Ecclesia et Pontifiee ». Il demande très souvent de l’argent à sa cousine qui gère ce qu’il a. Mais il en demande plus qu’il n’en a. Il est sourd à toutes les mises en garde qu’il reçoit de la part du Conseil provincial et du régional du Bénin. Il n’entend que ce qu’il veut entendre et ne voit que ce qu’il veut voir. Peu à peu sa santé ne lui permet plus de rester seul à Boukombé. Le Conseil voudrait le voir venir à Montferrier, mais en 2004, il se retire au centre Saint-Paul, centre des catéchistes du diocèse de Natitingou. On peut dire qu’il est maintenant à Natitingou contre l’avis de ses supérieurs. Mais ces avis, il ne les entend pas, et puis certaines des personnes qui l’entourent lui laissent entendre qu’il est indispensable là, alors que ses supérieurs voudraient qu’il laisse la place. En février 2007, très fatigué du codeur, il est conduit à Cotonou en ambulance à la polyclinique des Cocotiers ; il y reste deux semaines. Il faut le rapatrier. La compagnie d’aviation lui refuse une place à cause de son état de santé jugé trop grave. Ses supérieurs profitent d’un avion sanitaire pour le faire rapatrier en France, directement dans un hôpital de Montpellier. Là, il reçoit une pile cardiaque et il retrouve un peu de tonus. Sa nomination pour Montferrier paraît bien sur le Lien, mais il fait comme s’il ne l’avait pas lue. Alors, sitôt guéri, il écrit à ses supérieurs qu’il n’attend que leur feu vert pour repartir au Bénin. (Il a quand même 83 ans ! )

Pourtant de l’hôpital de Montpellier à la maison de Montferrier, la distance n’est pas grande ! ! ! Cependant, difficilement, il accepte pourtant d’aller à la maison de retraite. Il va rester 7 ans à Montferrier, mais même là, on peut dire qu’il a continué sa vie au Bénin, et plus particulièrement à Boukombé que, fondamentalement, il n’a jamais quitté. De plus, pour le garder dans cette mentalité, il recevait des visites de ses amis du Bénin. Le mot « ami » avait pour lui une résonance particulière: voici ce qu’il écrit en 2003 au moment de quitter Boukombé: ce serait là comme son testament spirituel : « Depuis 1951, date de ma rencontre avec les Africains, je les ai aimés d’un amour de préférence, ce qui parfois a été mal ressenti par mes confrères sma. Sans bien m’en rendre compte sur le moment, il est possible que certains aient pu en souffrir.

J’avais une grande écoute pour mes élèves africains qui m’apprenaient leur sagesse, plus que pour les mises en garde de mes confrères et supérieurs sma sur des rapports avec mes élèves, rapports qu’ils semblaient mal supporter. Mais heureusement, je ne suis pas de nature à me laisser impressionner, et j’ai suivi le chemin de l’amour tel que je le concevais. J’ai pu ainsi entrer en amitié avec tous mes confrères et élèves africains. Comme confrères, j’ai eu le cardinal Cantin, Mgr Mensah, Mgr Assogba: nos amitiés ont été exemplaires. J’ai au moins 300 lettres du cardinal Cantin. Quant aux élèves, 13 sont devenus évêques et j’ai gardé avec chacun des relations chaleureuses. Et j’ai été comblé: un de mes paroissiens est devenu aussi évêque ! Que dire de plus. Je suis un missionnaire heureux et comblé !

« Faut-il vous donner le chemin de l’amour que j’ai suivi? C’est celui même de Jésus. L’expérience de 21 ans d’enseignement m’a servi pendant mes 31 ans de ministère. Ainsi, c’est peu à peu que j’ai élaboré et vécu ce schéma: JI Amour vrai: cet amour est nécessaire pour observer les 10 commandements qui sont la racine de toute vie chrétienne. Ce qui fait cet amour vrai, c’est la générosité; elle nous fait voir au-delà de nous-mêmes, de nos idées, nous ouvre aux autres; c’est la confiance. Comment aimer dans la méfiance? Faire confiance à Dieu d’abord en pensant que ce qui arrive est toujours le meilleur pour nous, faire confiance en l’homme que Dieu aime et qu’il veut sauver, le regarder avec le regard d’amour de Dieu quoi qu’il fasse ; c’est enfin la fidélité: c’est la fleur de l’amour. Peu importe le découragement, les nuages, on reste fidèle quoi qu’il arrive. L’autre peut changer, on ne change pas. Il faut ces trois conditions pour bien observer les 10 commandements. 21 Amour sans mesure. Cet amour est nécessaire pour observer les béatitudes qui sont la fleur de la vie chrétienne. Ce qui fait l’amour sans mesure, c’est l’amour obstiné, entêté, que rien n’arrête; c’est l’amour désintéressé, où on ne cherche pas son avantage ou son intérêt; c’est l’amour don de soi qui nous fait accepter l’inacceptable, et supporter l’insupportable. Cet amour-là nous dispose à donner notre vie pour ceux qu’on aime. Alors on peut observer les béatitudes. »

Ces derniers mois, lentement ses forces l’avaient quitté ; il se faisait plus discret dans la maison jusqu’au jour où il a dû rester alité : il répétait sans cesse :  »Je suis fatigué…, je suis fatigué… « Il est alors hospitalisé, et, au bout de quelques jours, c’est à l’hôpital de Montpellier qu’il nous a quittés le 10 septembre 2015. Il avait 91 ans et avait passé 52 ans de sa vie au Bénin.